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Dans un bureau très sécurisé de Louis Vuitton, place Vendôme, les trois vedettes ont la taille d’une amande : trois diamants de couleur, dénichés en Afrique du Sud et au Brésil. Roses, orange et verts, de 3 à 4 carats chacun, ils sont taillés en poire et vous aimantent illico tant ils réfléchissent la lumière. « Regardez bien : ça, c’est une fois dans une vie !, intime la directrice des achats de pierres, dont Vuitton réclame que le nom, par exigence de discrétion, n’apparaisse pas. Je les ai montrés à certains spécialistes qui ont cru à des faux tant il est rare d’obtenir un tel trio. »
Acquises au printemps, ces pierres exceptionnelles ont déjà été vendues, séparément. Pour leurs richissimes acheteurs, la directrice artistique de la haute joaillerie de Louis Vuitton, Francesca Amfitheatrof, a imaginé des bijoux sur mesure, proposés sur gouachés – des croquis élaborés en couleurs. « Ils sont si phénoménaux que créer des bijoux en sachant que j’avais une telle matière première m’a fait l’effet de dessiner pour une reine ou une impératrice », frétille la designer. Le tarif ? Secret-défense ! « C’est comme Guernica, ça n’a pas de prix », éconduit la responsable des achats.
Vendre des diamants de couleur (à l’unité ou montés sur bijoux) : voilà l’une des nouvelles tocades stratégiques des joailliers. « Ils sont devenus en quinze ans les pierres les plus traquées du marché », constate le gemmologue Andrew Coxon, président de l’Institut diamantaire du groupe De Beers. En plus d’acteurs spécialisés, tels De Beers, Graff ou Moussaieff, la plupart des maisons de luxe se lancent dans cette bataille afin de mettre la main sur des diamants jaunes, verts, violets, roses, oranges… « Ils sont à la fois beaux et rares puisqu’un seul carat sur 10 000 découverts peut comporter une touche de couleur, et nous ne retenons ensuite que le nec plus ultra. Les diamants rouges, qui dépassent rarement un carat, demeurent les plus rares », détaille François Graff, directeur général de la maison londonienne à son nom.
Chaque nouvelle collection de haute joaillerie en comporte davantage. Pour le cru de l’été 2023, par exemple, Cartier a monté un diamant gris doté d’une touche de violet sur une bague pavée étirée comme un ovale quand Chanel ou Fendi ont misé sur des diamants jaunes. Sans compter les bijoux sur mesure, non révélés publiquement et imaginés à la convenance de leurs « VIC » (Very Important Clients)… Tiffany, que les connaisseurs citent avec Cartier et Vuitton parmi les futurs acteurs majeurs dans cette offre de niche, a signalé à ses affidés, en janvier, l’acquisition de 35 diamants, roses en majorité, parmi les derniers extraits de la mine australienne d’Argyle, fermée fin 2020.
Une fièvre similaire s’empare des enchères. Ceux qui ont l’œil n’ont pas oublié le Blue Moon, soit 12,03 carats adjugés pour 40 millions d’euros en 2015 chez Sotheby’s. Un record que le concurrent Christie’s compte faire exploser en vol, à Genève le 7 novembre, grâce à son Bleu Royal de 17,61 carats, monté sur une bague en or blanc, et dont il espère obtenir entre 35 et 50 millions de dollars (33 à 47 millions d’euros). « Notre estimation est totalement raisonnable pour ce calibre sud-africain qui a été taillé dans les années 1960-1970 et était resté en mains privées durant les cinquante dernières années », défend Rahul Kadakia, directeur international de la joaillerie chez Christie’s. Les diamants de couleur constituent désormais un placement sûr pour les clients ultra-riches, dont un tiers environ serait asiatique.
Et dire qu’ils furent jadis snobés… « Il ne faut pas oublier que leur teinte est due à un défaut et qu’autrefois, obsédés par la pureté du diamant blanc, on ne taillait pas toujours les bruts lorsqu’ils étaient colorés », rappelle l’experte de Vuitton. Une inclusion à base d’atomes d’azote fait ainsi muter un diamant vers le jaune et une inclusion d’atomes de bore vers le bleu, tandis que le vert s’explique par une irradiation de la pierre dans les roches pegmatites, et les bruns, rouges ou roses, par une distorsion de leur réseau atomique, au cours de leurs 700 millions à 3,5 milliards d’années d’existence.
« L’intérêt pour le diamant de couleur, éclos dans les années 1980, a connu son point de bascule en 2010, estime Eden Rachminov, un négociant-clé qui, depuis Israël, commerce avec toutes les maisons de la place Vendôme. Dans l’après-crise financière, les Chinois en tête se sont mis à investir dans le diamant de couleur et tout s’est emballé. » Les plus abordables, les jaunes, peuvent aujourd’hui varier « de 10 000 dollars par carat à 500 000 par carat pour les plus grandioses », indique la Fancy Color Research Foundation, centre de données spécialisé. Pour les autres couleurs, plus rares encore, chaque carat se négocie dans des sommes à sept ou huit chiffres. « Il n’y a pas de limite », clame-t-on partout.
« Ce sont des pierres d’une magie telle qu’on se doit de les travailler comme des pièces d’art », souligne Valérie Messika. La créatrice, basée à Paris, a appris à « jouer du contraste avec le blanc » : un des colliers phares de sa dernière collection multiplie par exemple de massifs diamants jaunes taillés en coussins sur un lit de diamants blancs. Pour l’analyste israélien Edahn Golan, « la montée en puissance des diamants de couleur s’explique aussi par un changement de goût », avec une tendance à des créations pop, maximalistes et donc colorées.
Aux rubis, émeraudes, saphirs ou tourmalines, certains fortunés préfèrent les diamants de couleurs, certes plus petits et plus chers, mais aussi plus rares, durs et réfléchissants. Une matière qui a ses propres codes. « Alors que le diamant blanc s’apprécie selon quatre critères habituels – caratage, taille, pureté, nuance de blanc –, les diamants de couleur ont d’infinies variations de tons : seules l’expérience et l’expertise vous en font comprendre la valeur », soutient Edahn Golan.
Leur terminologie, du pâle au foncé, se fait toujours en anglais – light, fancy, intense, vivid, deep, dark –, les nuances vivid (vif) ou deep (profond) étant les plus valorisées. Pour compliquer les choses, la touche d’une autre couleur, souvent présente, peut être un atout si elle confère de l’éclat, ou un défaut si elle l’atténue. Ainsi, un zeste de jaune dans de l’orange sera applaudi, tandis qu’une note de vert dans du jaune ou de violet dans du rose diminuera l’attrait, et donc le prix. « Les clients sont souvent surpris de découvrir qu’entre deux diamants de la même gradation, le prix peut varier jusqu’à 50 % », remarque Andrew Coxon chez De Beers.
Outre leur vocabulaire et leur appréciation, les diamants de couleur détiennent aussi des polisseurs et lapidaires à part. Des professionnels qui connaissent leur plus grande fragilité et ont appris à les magnifier. « Le diamant blanc a ses tailles déterminées. Le diamant de couleur, lui, n’est régi par aucune règle, compare Eden Rachminov. On le taille non pas pour respecter une forme mais avant tout pour porter sa teinte à son maximum. La créativité n’en est que décuplée. » Poire, coussin, ou forme hybride… Leur allure peut varier. Les experts déconseillent les tailles émeraude (rectangle) et brillant (arrondi) car elles sont susceptibles de faire perdre beaucoup de matière au cours du processus. Cela n’a pas découragé Cartier de composer cette saison une bague graphique à base de diamants jaunes taillés en émeraude. De même, Vuitton, cherchant à se différencier, a passé en coulisses les derniers mois à rassembler une collection de spécimens en format brillant.
A rebours, le joaillier Fred a surpris son monde en septembre en dégainant des diamants bleus… fabriqués en laboratoire. Taillés en « Hero », une forme signature à 36 facettes semblable à un triangle, ils sont présentés sur des bagues, bracelets ou en guise de pendentifs de colliers. Si Fred vante son « audace » et le fait d’être le premier à introduire des diamants de couleur à prix moins stratosphériques (à partir de 50 000 euros), c’est un euphémisme que d’affirmer que le petit milieu de la joaillerie, qui aime assimiler les diamants de couleur à « des chefs-d’œuvre de la nature », est dubitatif devant l’initiative. « C’est comme si vous achetiez un sac Birkin contrefait, fabriqué en plastique », grimace Edahn Golan, quand d’autres assimilent ces pierres de synthèse à de « faux Picasso ».
Valentin Pérez
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